Je croyais à plus de calme intérieur, à plus de satiété engrangée, à la bonne tenue coutumière de ma patience… Mais, je dois en convenir, en toute vérité : quelque chose s’est rouvert à l’endroit de l’écriture intime. Il faudrait transposer, « neutraliser »… mais j’en suis incapable aujourd’hui. Pourquoi réprimer ce qui procède de l’écoulement du murmure ? Le poème n’est jamais que la cristallisation de cette instance insaisissable…indomptable. Relisant les recueils de l'ami pour retrouver la sève matricielle, je renoue avec la brûlure, avec la déflagration désirante, avec la grande faille… séductrice…Comment les mots s’y prennent-ils pour nous propulser aussi violemment dans l’indicible, le non coercible, ce libre mouvement pulsionnel illimité vers plus de vie ? L’image vient aggraver toutes les émotions latentes. Besoin soudain de vérifier si l’image du souvenir est conforme à l’original...Ce sont aussi des bribes de paroles ou des gestes aériens qui reviennent à la mémoire… Des phrases dites à voix basse , des trouées de bonheur, des échappées belles aux lèvres déliées, elles ont des sœurs en rêve, on en vient à douter qu’elles aient été prononcées ou vécues et pourtant… Elles existent belles, et bien dans la conscience, un frisson les parcourt, elles témoignent d’une ombre captant au profond les racines de l’être . S’aventurer dans le manque, c’est retrouver le tout, la perfection des sourires, l’inaltérable des offrandes. Et pourtant tout s’estompe. A l’endroit des saveurs fleurissent tant de peurs, tant de renoncements. Le trop perçu n’est pas une assurance contre les diètes futures. Le goût de vivre est un sens qui s’altère facilement. Comme une buée assez imprévisible . Toutes les condensations ne sont pas prometteuses, elles ne décrassent que les peaux tendres, rendues tendres à force d’humilité et de confiance accordée . Apprendre à vivre nus, offerts au crin des ans, frottés aux larmes dans nos pensées usuelles. C’est assez difficile, mais quel gain de toute-présence ! Nos mots poncent nos yeux, ils s’inquiètent de nos oreilles. Ils ont des prévenances inaudibles pour les inattentifs . Nos propres inattentions nous remettent en lice avec l’absolu. Ces combats nous instruisent. Rien n’est perdu, tout est à perte…En attendant on sème et on récolte. On aime et on s’absente. On peine et on exulte . Parfois la soif nous plante en plein désert. Et l’on tombe à genoux, implorant l’impossible. Mendiants extra-lucides. Marcheurs fossilisés. Fossoyeurs de la grâce. Laudateurs de la source inappropriée… Inventeurs d’une foi sans croyances. De la main à la main, échangeant les mots purs d’un amour considérable, inconsidéré… mutilé par toute « convoitise », calqué sur l’imprenable de toute vision non close . Le livre comme gîte d’étape. Le livre comme preuve d’un parcours ajusté à la lumière disponible et mouvante. Le livre comme preuve irréfutable d’un amour défini. Le livre comme une dérision sublimée . Le livre comme une trêve étincelante. Le livre comme un espace à vivre de mots et d’eau claire. Le livre comme un trait d’union et de partage. Le livre comme un arbre sans craintes.